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Qu’est-ce que la vie ?

    Mais qu’est-ce que la vie ? La définir est une chose difficile comme toute définition concernant la nature et, plus généralement, le monde physique. Une définition mathématique est une convention que l’on fixe comme l’on veut et dont on tire des conséquences ; elle a donc un caractère de généralité qui ne souffre aucune exception. Mais une définition concernant le monde physique, est une sorte de raccourci qui cherche à désigner des objets en les caractérisant par un certain nombre de propriétés. Elle demande donc que l’on ait distingué les objets et que l’on ait pu y mettre en évidence des propriétés qui leurs sont communes mais qui ne s’appliquent qu’à eux. Des difficultés surgissent cependant. D’une part, la distinction d’un objet est une opération mentale qui n’implique pas l’existence réelle de cet objet dont nous nous formons une représentation et que nous individualisons selon des critères dont la subjectivité devient souvent évidente lorsque nous cherchons à préciser cette distinction (…)

    Bien évidemment, la contradiction n’est pas dans la nature, mais dans notre volonté de constituer des catégories dans un ensemble continu. Cela est encore plus clair si l’on introduit la dimension du temps. Les individus actuels rangés dans une certaine espèce, descendent d’individus qui les ont précédés et que, en toute logique, on doit ranger dans la même espèce. C’est d’ailleurs ce que font les paléontologistes qui, dans les sédiments récents, retrouvent en quantité des fossiles pouvant sans difficulté se ranger, en fonction de critères majoritairement morphologiques, dans des espèces connues vivantes. Mais, si l’on remonte dans le temps, on constate que ces formes fossiles se différencient de plus en plus des formes actuelles. Lorsque les différences les font par trop s’écarter du domaine de variabilité d’une espèce actuelle, le paléontologiste estime justifié de définir (il dit créer) une autre espèce. Cela rappelle, dans le domaine temporel, ce que l’on a dit plus haut des variétés géographiques dans le domaine spatial. Utile sur le plan pratique, cette distinction spécifique est évidemment difficile à justifier sur le plan théorique car elle effectue ici des coupures arbitraires dans la continuité des générations. D’ailleurs il est clair, si l’on suit les idées transformistes, qu’en remontant dans le temps, des individus actuels appartenant à deux espèces distinctes vont avoir des parents communs : où commencent alors et où finissent les espèces ?

    On ne peut évidemment pas aujourd’hui renoncer à cette notion d’espèce, qui a une signification biologique et une utilité pratique, mais on peut supposer que les progrès de la biologie moléculaire, qui nous permettent de remonter à l’intimité même du patrimoine génétique de chaque individu, viendront introduire une vision plus nuancée et plus complexe de la classification des êtres vivants.

    La vie est une notion abstraite que l’on ne peut définir que comme étant l’ensemble des propriétés particulières aux êtres vivants. Mais comment définir les êtres vivants ? Compte tenu de ce que l’on vient de dire, des difficultés sont à attendre (…)

    (…) Peut-on risquer une définition de la vie ? Pour ce que nous en savons, la vie est la propriété d’individus qui naissent, étant engendrés par des individus auxquels ils ressemblent, ont pendant un certain temps des échanges d’énergie et de matière avec l’extérieur, sont eux-mêmes susceptibles d’engendrer des individus qui leur ressemblent, puis cessent d’avoir des échanges avec l’extérieur et meurent. Il nous semble aujourd’hui que ces êtres, quel que soit leur degré d’organisation, sont tous parents ; qu’il n’existe, pour eux, qu’un seul arbre généalogique et que, par ses branches il y a toujours un chemin, si compliqué soit-il, qui mène d’un être à un autre.

    Tous les êtres vivants que nous connaissons comportent, comme constituants essentiels, de longues molécules carbonées et cette propriété pourrait être considérée comme une des caractéristiques de la vie. Mais on ne peut exclure que, dans des conditions différentes de celles de la Terre, un élément autre que le carbone (on a parlé du silicium) ait pu servir à constituer des chaînes comparables aux molécules organiques ayant joué un rôle identique dans la construction d’autres ensembles qu’il faudrait bien appeler vivants. Pour l’heure cette hypothèse est du domaine de la science-fiction.