Pour reconstituer l’évolution des
sociétés, l’historien a besoin d’archives. Tout ce qui
est écrit constitue son
matériel d’étude. Il va le chercher dans des
bibliothèques, dans des réserves
où, plus ou moins confortablement installé, mais toujours
à l’abri des
intempéries, il compulse livres, manuscrits, parchemins, souvent
fragiles et
poussiéreux, d’autant plus difficiles à lire qu’ils sont
plus anciens, et en
tire des notes qui seront la matière première de ses
travaux.
L’historien de la Terre a, lui aussi,
besoin d’asseoir ses reconstitutions sur des arguments. Il les tire du
matériau
même dont est formée la planète et que, sous cet
aspect, on peut aussi, par
analogie, qualifier d’archives. Mais l’archiviste de la Terre, le
géologue, ne
ressemble guère à son homologue historien. Il n’est pas,
comme lui, à l’abri
d’une bibliothèque mais livré aux éléments
naturels auxquels il ne peut se
soustraire, qu’il oeuvre dans des contrées arides, où la
rareté de la
végétation lui permet de bien voir les affleurements
rocheux mais où le soleil
le dévore et la soif le tenaille, ou dans des régions
tropicales humides
débilitantes, où tout travail coûte des efforts
pénibles et où les
affleurements sont rares, ou encore dans des régions polaires
où le froid le
paralyse. Encore doit-il se méfier des animaux, serpents,
scorpions, parasites
et, faut-il le dire, davantage encore des hommes, pas toujours, et
même pas
souvent, accueillants, surtout comme l’habitude semble se
répandre, lorsqu’ils
se groupent en bandes armées diversement et, parfois,
surabondamment.
Mais il existe bien des variétés, bien des
nuances dans l’exercice de la géologie de terrain. Cela va du
cas habituel des
géologues universitaires, surtout ceux qui débutent dans
la carrière qui,
médiocrement défrayés, travaillent souvent en
solitaires dans des conditions de
sécurité précaires, se déplacent dans des
véhicules déglingués et couchent dans
des hébergements minables (mais c’est le prix de leur
liberté), à celui
des géologues des grandes compagnies de pétrole qui
disposent de véhicules tous
terrains, parfois d’hélicoptères, de chauffeurs, d’aides
et de cuisiniers.
Tous, cependant ont, sur le terrain, une vie difficile, parfois
épuisante, et
sont soutenus par l’intérêt porté au métier
qu’ils ont choisi. Vous les
reconnaîtrez aisément : ils serrent dans la main un
marteau et arborent
une loupe en sautoir; vers le soir, ils sont, suivant
les climats, couverts de poussière ou maculés de boue. Si
vous les rencontrez
alors qu’ils sont sur le terrain depuis quelques semaines, vous ne les
trouverez pas bien gras (...)