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Le climat et nous

(Résumé de la conférence donnée le 29 janvier 2007)

Alain Foucault

 

Cette troisième conférence aborde un sujet qui devrait, égoïstement, nous intéresser particulièrement puisqu'il s'agit des rapports de l'homme et du climat. Vaste programme à faire tenir en 60 minutes. Pour donner une structure à cet exposé, j'en ferai deux parties. La première sera consacrée au temps où l'homme subissait les contraintes du climat sans avoir d'action marquée sur son évolution, la seconde où ses activités ont été de nature à induire des modifications climatiques.

A la vérité, pour le naturaliste, l'homme est peu de chose sur la planète, surtout si on le considère dans la perspective de l'histoire de celle-ci. Formée il y a plus de quatre milliards et demi d'années, elle a attendu sans doute plus d'un milliard d'années pour qu'une vie primitive s'y manifeste, et ce n'est qu'il y a 550 millions d'années que des animaux à squelette, comme les trilobites du Cambrien, sont connus. Quant à l'homme, si son antiquité remonte à quelque 2 millions d'années, c'est tout au plus ce dont on peut le créditer. C'est donc un très tard venu.

Mais revenons à nos climats. Après la crise de la fin du Crétacé qui, il y a 55 millions d'années, à eu comme conséquence la disparition, entre autres, des dinosaures et des ammonites, le climat, alors au moins tiède sur toute la planète, s'est refroidi. La cause de ce refroidissement est controversée, mais on tend surtout à penser que le mouvement des plaques lithosphériques en est responsable, d'une part en modifiant la répartition des continents et des océans et, par là même celle des courants marins, d'autre part, et surtout, en créant les reliefs alpins, dont l'Himalaya, résultat de la collision des continents eurasiatique et indien.

Ce refroidissement s'est accentué à la fin de la période post-crétacée (nommée Cénozoïque) et a abouti à une période de glaciations qui, dans son ensemble, correspond au Quaternaire, qui est le temps de l'homme. L'installation des masses glaciaires est particulièrement bien visible dans les analyses des isotopes de l'oxygène des foraminifères benthiques de l'Atlantique nord (travaux de Maureen Raymo, par exemple). Il est très vraisemblable que ces modifications climatiques, dont les périodicités ont été contrôlées par l'orbite terrestre, ont eu une action sur l'évolution des paysages et des ensembles fauniques, l'homme compris. Mais comment les mettre en évidence dans des périodes trop lointaines pour avoir suffisamment de données et assez de précisions dans leurs datations ? Pour asseoir assez fermement des interprétations, contentons nous de nous pencher sur des temps récents où les datations sont suffisamment précises : ceux qui donnent prise aux analyses du carbone 14, guère plus vieux que 40 000 ans.

C'est au début de cette période, vers 35 000 ans, qu'en Europe l'homme de Néandertal (Homo neanderthalensis) disparaît pour une raison mystérieuse, laissant place libre à l'homme moderne (Homo sapiens), c'est-à-dire à nous. On va entrer alors dans le maximum de la dernière glaciation, daté d'il y a 21 000 ans.. Ces temps sont bien différents d'aujourd'hui, au moins dans les moyennes et hautes latitudes de l'hémisphère nord. Dans le Nord de l'Europe et de l'Amérique, d'épais inlandsis (énormes coupoles de glace recouvrant des domaines continentaux) occupent des surfaces considérables. L'eau qu'ils stockent ayant été empruntée aux océans, le niveau de ceux-ci s'en trouve considérablement abaissé : de l'ordre de 120 mètres. Cette valeur peut être obtenue par le calcul, mais est confirmée par l'étude de l'évolution des récifs coralliens, lesquels suivent évidemment les fluctuations du niveau des mers. Un corollaire est que bien des îles actuelles étaient rattachées aux continents voisins, à commencer par l'Angleterre, accessible à pied sec depuis l'Europe. De même l'Alaska était-il rattaché à la Sibérie, et on pourrait multiplier les exemples dont on perçoit bien l'effet en ce qui concerne la dispersion de flores et de faunes terrestres. Combien de grottes visitées et décorées par l'homme de cette époque étaient alors accessibles à pied sec, à l'exemple de la grotte Cosquer dont l'entrée, aux calanques de Marseille, est aujourd'hui immergée à 37 mètres de profondeur ?

Le climat était alors bien froid, près des glaciers. A leur bord, tout au nord, peut-être en moyenne 15° C plus froid qu'aujourd'hui. Quant aux précipitations, dans les mêmes régions elles étaient très raréfiées. En France par exemple, où les précipitations sont aujourd'hui, selon les lieux, de quelque chose comme 700 à 1500 mm par an, si l'on néglige les valeurs extrêmes, il faut, pour le dernier maximum glaciaire, les diviser par 2 ou davantage. On conçoit que cela ait eu un impact sur la végétation. Avec les valeurs actuelles, si nous abandonnions notre pays pendant un siècle ou deux, nous aurions, au retour, la surprise de le voir couvert de forêts : c'est en effet la végétation naturelle de presque tout notre territoire dans ses conditions actuelles de température et de pluviométrie. Mais au dernier maximum glaciaire, plus froid et plus sec, il en allait tout autrement. Dans la plus grande partie de l'Europe et de la Sibérie, c'était le domaine de la steppe, caractérisée par une végétation surtout herbacée, celle qu'on trouve aujourd'hui, par exemple, en Asie centrale, dans les prairies de Etats-Unis, dans le pampas d'Amérique du Sud. Au Nord de l'Europe et de l'Asie, domaines plus froids encore, régnait la toundra, avec une végétation beaucoup plus réduite, composée surtout de lichens et de mousses. La température moyenne, inférieure à zéro, de ces régions a eu comme conséquence l'existence, en profondeur, d'un sol toujours gelé, et cela sur parfois des hectomètres : le pergélisol, ou permafrost. Ce sol est imperméable, ce qui explique l'existence, en été, de nombreuses étendues d'eaux, propices aux plantes aquatiques, étranges dans un climat sec.

Les étendues steppiques sont idéales pour que s'y développent de grands herbivores, et nos ancêtres pouvaient y voir des hardes de mammouths, des troupeaux de bisons, de rennes, des rhinocéros laineux, des cerfs mégacéros, et j'en passe, le tout en grande abondance. Une telle provende faisait le bonheur de grands prédateurs comme le lion des cavernes et la hyène des cavernes, entre autres.

En face de cet abondance, on peut comprendre que l'homme de cette époque ait été chasseur. Sans vouloir minimiser sa peine, on ne peut pas vraiment estimer qu'il ait été misérable, ayant à sa portée plus de nourriture qu'il ne lui en fallait. Ce régime carné était équilibré par d'autres aliments : fruits, graminées, racines, selon les saisons dont il devait cependant subir les rigueurs. L'homme du dernier maximum glaciaire était donc un chasseur-cueilleur. La recherche de nourriture et la construction d'abris devaient sans doute lui laisser des loisirs puisqu'il nous a légué des œuvres que nous estimons aujourd'hui artistiques et devant lesquelles, toutes interprétations cessantes, il est difficile de ne pas avoir un sentiment d'admiration. On n'en finirait plus de les énumérer. Pensons par exemple aux peintures de Lascaux et à la magnifique « demoiselle à la capuche » de Brassempouy.

Arrachons-nous à cette contemplation pour considérer la suite des événements. Après 21 000 ans, c'est la déglaciation. Pour des raisons d'orbite terrestre, le climat se réchauffe. Mais pour des raisons de réactions surprises du système climatique, ce réchauffement ne se fait pas sans à-coups. Le principal, bien marqué autour de l'Atlantique Nord, est ce qu'on nomme le Dryas récent, grand coup de froid ressenti il y a 12 000 ans. Sa cause est à chercher du côté de la fonte de l'inlandsis canadien qui, dans son recul, ouvre la voie du nord de l'Atlantique aux eaux des fleuves américains.

Les changements vont alors se précipiter. Réchauffement et augmentation de la pluviométrie vont induire des modifications considérables de la végétation. Alors que la toundra recule, l'immense steppe qui couvrait jusque là toute l'Europe et la plus grande partie de la Sibérie va être remplacé par d'épaisses forêts : forêts à feuilles caduques en Europe occidentale et moyenne, forêts de conifères dans le nord de l'Europe et en Sibérie. Que faire alors quand on est un herbivore et que le temps presse trop pour que les mécanismes de l'évolution puissent apporter des solutions nouvelles ? Soit trouver des lieux où il est encore possible de trouver de l'herbe, soit disparaître. Parmi ceux qui ont subsisté, on trouve les rennes, qui se contentent d'une maigre nourriture de toundra, ou les antilopes saïga, qui courent aujourd'hui dans les steppes de l'Asie centrale. Parmi les disparus, on compte les mammouths, les rhinocéros laineux, les bisons des steppes, les cerfs mégacéros et des représentants de leur cortège de prédateurs, dont le lion des cavernes. Pour certains, cependant, l'homme chasseur ne serait pas pour rien dans l'extinction du mammouth. On ne peut écarter cette idée, mais il est clair que les nouvelles conditions des paysages ne donnaient à cet éléphant velu que peu de place pour exister et que l'homme n'a pu, en tout analyse, que lui donner le coup de grâce.

Tous ces changements ont eu une influence considérable sur la vie de nos ancêtres. Face à la disparition des paysages où couraient par millions les grands herbivores qui assuraient l'essentiel de sa subsistance, il lui a fallu inventer de nouveaux comportements. Ce moment crucial a été caractérisé par ce que l'on a appelé la « révolution  néolithique ». Constatant la raréfaction de ses proies, il a pensé à les parquer et à les faire se reproduire : il est devenu éleveur. Obligé, par là même, de mettre un terme à son nomadisme, il a construit des habitats permanents : il est devenu villageois. Autour de ses installations, il a semé puis récolté des plantes comestibles : il est devenu agriculteur. Pour conserver ses produits, liquides ou solides, il a pratiqué la poterie.

C'est dans ce que l'on appelle le « croissant fertile », Mésopotamie et Basse Egypte que cette culture s'est cristallisée, et l'on peut suivre à la trace sa diffusion dans les régions voisines, par exemple en reconstituant le cheminement des diverses espèces ou variétés de graminées sauvages originaires de ce croissant fertile et devenues domestiques.

On peut dire qu'à l'entrée de la période dite Holocène, il y a 10 000 ans, c'en est fini de la glaciation. La situation est alors proche de celle d'aujourd'hui et va, dans l'ensemble, le rester. Dans le détail, on peut malgré tout signaler qu'entre 9000 et 7000 ans avant nos jours on notait un climat un peu plus chaud et humide qu'aujourd'hui, dit optimum holocène, marqué par exemple dans le Sahara par la présence de populations d'éleveurs dont témoignent les célèbres peintures rupestres des Tassili. Selon les calculs climatiques résultant des idées de Milankovitch sur le contrôle des climats par l'orbite terrestre, on devait alors entrer, très lentement, dans une nouvelle période glaciaire. C'était sans compter sur l'activité humaine qui fait l'objet de la seconde partie de cet exposé.

Une source synthétique majeure concernant ce sujet est constituée par les travaux du Groupe intergouvernemental d'experts sur le climat (GIEC), plus connu sous son nom anglais Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC). On en trouvera l'intégralité à l'adresse Internet suivante : http://www.ipcc.ch.

Créé en 1988, ce groupe à diffusé plusieurs rapports d'ensemble, le dernier en 2001, et s'apprête à en fournir un autre, le 2 février 2007, pour sa première partie. Les principales conclusions de ce groupe sont les suivantes :

La température de surface de la terre a augmenté de 0,6°C depuis 1861 (précision: 0,2°C). A l'heure ou je parle on peut même dire plus de 0,7°C

La couverture neigeuse a diminué de 10% depuis les années 60.

Les glaciers de montagne ont reculé durant le XXème siècle.

L'extension de la banquise a diminué de 10 à 15% dans l'hémisphère nord, davantage dans l'hémisphère sud

Le niveau des mers a monté de 1 à 2 décimètres durant le XXème siècle.

L'interprétation donnée de l'origine de ces modifications est que, pour l'essentiel, elles sont dues à l'augmentation dans l'air de la concentration en gaz à effet de serre. Dans le détail, les causes des irrégularités sont encore à préciser (réactions diverses du système climatique, etc.). Les mesures des concentrations de ces gaz dans l'atmosphère, aussi bien dans les bulles enfermées dans les glaciers pour les temps anciens que par les mesures directes pour les temps récents, vont en effet toutes dans ce sens.

Quant à l'origine de ces gaz à effet de serre, elle est, de l'avis général, dans la consommation de combustibles fossiles pour le dioxyde de carbone, dans les activités agricoles (élevage, riziculture) pour le méthane.

A partir de ces constatations, comment prévoir l'avenir ?

L'un des outils principaux est l'usage de modèles mathématiques qui «miment » le fonctionnement du système climatique. Mais pour cela il faut deux conditions. La première est d'avoir compris comment fonctionne le système climatique, ce qui n'est encore pas assuré, même si des progrès considérables ont été faits ces dernières années, progrès qui ont trouvé de puissants moyens d'expression grâce à l'avancement des outils informatiques.

La seconde est la possibilité de prévoir l'évolution de nos sociétés. Ce n'est évidemment pas possible, on le comprend. Le GIEC a donc dû se contenter d'imaginer des « scénarios » qui pourraient correspondre à différentes voies que seraient susceptibles d'emprunter ces sociétés.

Parmi ces scénarios il y en a de très sages (peu d'utilisation de combustibles fossiles, utilisation de sources d'énergie alternatives), et d'autre très dépensiers en énergie impliquant de considérables émissions de gaz à effet de serre.

Les résultats auxquels conduisent ces différents scénarios sont bien divers, certes. Mais dans tous les cas, ils aboutissent, dans le délai de 100 ans envisagé par le GIEC, à une augmentation de la concentration dans l'atmosphère des gaz à effet de serre. A partir de ces prévisions, les modèles mathématiques permettent d'inférer les températures à attendre dans les différents cas. Si l'on prend en compte tous les résultats obtenus par les différentes équipes de modélisateurs, on arrive à la conclusion que les augmentations de température à attendre pour la fin du siècle sont comprises entre 1,5°C et 5,5°C ce qui est évidemment considérable si l'on considère que le réchauffement naturel post-glaciaire est évalué à environ 5°C.

Il faut insister sur le fait que ces modifications climatiques doivent intéresser de façon très diverses les différentes régions. En ce qui concerne la température, pour un réchauffement mondial moyen d'environ 3,5°C (cas d'un scénario moyen dit A2), il devrait être de quelque 4 ou 5°C en Europe centrale, et de plus de 8°C dans le nord de la Sibérie, faisant fondre à coup sûr les pergélisols (avec, comme corollaire, l'émanation du méthane qu'ils contiennent, entraînant une rétroaction positive conduisant encore à davantage de réchauffement). Quant aux précipitations, s'il faut s'attendre à leur renforcement sur les régions tropicales et dans le nord de l'Amérique et de l'Europe, c'est la sécheresse qui guette le Bassin méditerranéen, avec les conséquences négatives que l'on devine.

C'est donc une révolution climatique qui nous attend si l'on ne met pas un terme, ou au moins un frein, à nos productions de gaz à effet de serre.

Jusque là, on n'a parlé que des travaux scientifiques, travaux qui, faut-il le souligner, ont tous été fait sans avoir comme préoccupation une application déterminée et qui pourtant, risquent d'être déterminants pour l'avenir de nos sociétés.

A la suite de ce train de recherches, a été attaché récemment un wagon de modélisation économique concrétisé par le rapport de Nicholas Stern. Commandé par le chancelier de l'Echiquier, ce rapport, diffusé le 30 octobre 2006, est accessible sur Internet à l'adresse http://www.hm-treasury.gov.uk. Utilisant les résultats de modèles économiques officiels, ce rapport estime que, si l'on ne réagit pas, les coûts et les risques globaux du changement climatique seront équivalents à une perte d'au moins 5 % du PIB mondial chaque année, aujourd'hui et pour toujours. Si l'on prend en compte un éventail plus vaste de risques et de conséquences, les estimations des dommages pourraient s'élever à 20 % du PIB ou plus. Ecarter cette menace coûterait seulement 1% du PIB mondial.

Les choses en sont là aujourd'hui et cette conférence, dont le but est d'exposer avec le maximum d'objectivité l'état de la science, n'en tirera pas de conclusions en dehors de ce domaine. On ne fera que résumer les principaux points concernant notre action climatique sur la planète :

- le pronostic d'un changement de climat par réchauffement, du fait de l'émission de gaz à effet de serre, est extrêmement probable ;

- ce réchauffement devrait être de l'ordre de 2°C à 5°C en moyenne, selon l'évolution de nos sociétés (mais avec de fortes différences régionales) ;

- parmi les autres conséquences probables, on soulignera des changements dans le régime des précipitations, dans la fréquence des événements exceptionnels, dans le niveau de la mer ;

- économiquement, si l'on ne fait rien, le coût de ces changements pourrait se situer, chaque année, entre 5% et 20% du PIB mondial.

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