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Comment reconstituer les climats du passé ?
(Résumé de la conférence donnée le 15 janvier 2007)
Alain Foucault

 

La première question que l'on peut se poser est : « à quoi sert d'étudier les climats du passé ? »

On peut y répondre en disant que c'est le propre de l'homme de chercher toujours à en savoir davantage, qu'il a besoin de connaître et de comprendre le monde qui l'entoure, qu'au pied d'une montagne, il éprouve l'appel des cimes et veut aller au sommet, qu'au bord d'un océan il veut savoir ce qu'il y a de l'autre côté, s'il y en a un…. C'est vrai, mais on peut donner une autre réponse. Pour prévoir le climat de l'avenir, il faut comprendre le fonctionnement du système climatique. Or, c'est un domaine où l'on ne peut pas faire d'expériences alors que, pour la plupart des lois physiques, on peut les répéter jusqu'à comprendre le fonctionnement du phénomène que l'on étudie.

Pour comprendre le fonctionnement du système climatique, il n'y a guère d'autre moyen que d'étudier comment le climat s'est modifié dans le passé et essayer de remonter aux causes de ces modifications.

Ce modifications ont laissé des traces plus ou moins nettes dans un certain nombre d'enregistrements climatiques. En voici quelques exemples qui seront traités plus ou moins rapidement : enregistrements historiques, dans le bois, dans les traces des glaciers, dans les sédiments (nature du sédiment, contenu en fossiles, géochimie des fossiles), dans les glaces des glaciers

Mais examinons d'abord une question fondamentale. On ne peut guère espérer avoir des enregistrements directs de paramètres climatiques, comme la température moyenne, la pluviométrie, etc. que pour une période très courte et encore, dans les pays européens. Les plus longs enregistrements de température en Europe ne remontent qu'à la première moitié du 17ème siècle.

Pour le reste on est obligé de passer par des indicateurs climatiques (ce que l'on nomme, en anglais, proxy, au pluriel, proxies). Ce sont des quantités liées plus ou moins étroitement à des paramètres climatiques. Pour les utiliser, il faut, dans un premier temps, déterminer la liaison (par exemple corrélation) entre un indicateur climatique et des mesures de paramètres climatiques (température, précipitation…). Une fois une relation (de préférence quantitative et exprimée par une équation) obtenue, on pourra utiliser cette liaison pour, avec des indicateurs trouvés dans des enregistrement anciens (on verra qu'il peuvent dater de centaines de milliers ou de millions d'années) obtenir (avec une certaine incertitude) la valeur de paramètres paléoclimatiques.

Deux exemples historiques peuvent être donnés parmi les quantités que l'imagination des chercheurs a pu inventer.

Le premier concerne la date de la floraison des cerisiers au Japon. A Kyoto, par exemple, elle est connue depuis plus de 1000 ans. Comme elle est en relation avec la température moyenne, elle a permis d'évaluer les variations de température pendant ces 10 siècles. Peut-être certains estimeront que ce travail vaut autant par la poésie qui s'en dégage que par sa précision.

Le second concerne la banquise d'Islande. Celle-ci peut bloquer les ports pendant de longs mois. Il a été démontré que la durée de ce blocage était en relation avec les températures, mesurées de 1846 à 1919. Cette relation étant établie, on peut alors calculer les températures des années antérieures pour lesquelles existent des archives donnant la durée du blocage des ports par la banquise.

Mais lorsqu'il n'y a pas d'archives, il faut trouver autre chose.

Les enregistrement dans les arbres peuvent être utilisés. On sait que les troncs, coupés, montrent des anneaux (ou cernes) annuels qui permettent d'en déterminer l'âge, c'est de la dendrochronologie. Mais la largeur des cernes et la composition géochimique du bois sont en relation avec le climat de la région où ces arbres ont poussé et peuvent constituer des indicateurs paléoclimatiques. Certains arbres sont très âgés, comme les pins « bristelcone » (Pinus longaeva) des Montagnes Rocheuses de l'ouest des Etats-Unis qui peuvent atteindre 4800 ans. En comparant cerne à cerne de vieux arbres et des bois coupés dans les siècles précédents, on peut aujourd'hui remonter à plus de 11000 ans.

Pour remonter plus en arrière encore, on a montré, au début du 19ème siècle, que les traces de l'érosion glaciaire constituaient un instrument paléoclimatique puissant. De fait, c'est leur observation qui a présidé à la naissance de la paléoclimatologie et permis de démontrer que des glaciations successives s'étaient produites depuis près de 2 millions d'années.

J'ai rapidement conté l'histoire de cette naissance. Les principaux acteurs en sont d'abord Jean-Pierre Perraudin, paysan instruit et chasseur de chamois du village de Lourtier, dans le Valais, puis un ingénieur, Ignace Venetz, un géologue, Jean de Charpentier, enfin un jeune et brillant paléontologue spécialiste des poissons fossiles, Louis Agassiz.

C'est surtout ce dernier qui a convaincu le monde scientifique de l'existence d'un âge glaciaire durant lequel les Alpes étaient caparaçonnées d'une blanche couche de glace, épaisse par endroits de plusieurs kilomètres.

L'argumentation était soutenue par de nombreuses observations concernant les marques d'érosion et de dépôt des glaciers : roches moutonnées et striées, moraines. En particulier, les moraines frontales on permis de montrer qu'il y a 21 000 ans le Nord de l'Europe et le Nord de l'Amérique étaient recouverts par des glaciers épais de plusieurs kilomètres, des inlandsis.

 Mais si l'on veut remonter encore plus loin dans le passé, il faut s'adresser aux sédiments, dont certains sont datés de plus de 3 milliards d'années.

Parfois, on ne peut s'appuyer que sur la nature du sédiment, ce qui est peu (sédiments évaporitiques, dunaires, charbons, etc.).

Mais on utilise couramment, pour des temps pas trop reculés, des indicateurs biologiques, comme les Foraminifères, petits animaux unicellulaires dont on trouve, parfois en abondance, les coquilles millimétriques dans les sédiments. Le principe est simple, si la réalisation est longue : on détermine la relation actuelle entre les températures de l'eau et le contenu en foraminifères, ceci en diverses régions océaniques, puis on applique la relation trouvée aux sédiments prélevés à différents niveaux, donc à différents âges, dans une carotte de sédiments. On a donc, en définitive, une courbe de variation de température de l'eau en fonction du temps.

Mais on fait grand cas, aujourd'hui, de la composition isotopique des coquilles calcaires des animaux marins et, particulièrement, des Foraminifères. La composition isotopique de l'oxygène du carbonate de calcium CO3Ca dont sont constituées ces coquilles dépend en effet de la température de l'eau où elles ont vécu. On voit donc que pour déterminer cette température, à composition isotopique de l'eau constante, il suffit de faire une analyse des isotopes, ce que l'on fait aujourd'hui avec beaucoup de précision avec des appareils nommé spectromètres de masse.

Mais d'énormes progrès dans la connaissance des climats du passé ont été faits dans les 30 dernières années grâce aux carottages effectués dans les glaciers notamment dans les calottes glaciaires (inlandsis) de l'Antarctique ou du Groenland. Plusieurs de ces carottages ont traversé entièrement les glaces, épaisses de plus de 3 kilomètres. Notons que les scientifiques français ont joué un rôle éminent dans ces recherches.

Que peut-on étudier dans ces glaces comme enregistrements paléoclimatiques ? La glace elle-même (la composition isotopique de l'oxygène et de l'hydrogène donne des indications sur la température) ; des bulles d'air emprisonnées (concentration en gaz divers, isotopes) ; des poussières apportées par le vent, des cendres volcaniques.

Pouvait-on imaginer, il y a 30 ans, que l'on connaîtrait la composition de l'atmosphère terrestre sur les 800 000 dernières années ?